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M. Dragan Duncic, Prof. Asst. Milena Nikolic: Le canal Danube-Morava-Vardar-Axios-Égée et la ceinture économique de la Route de la Soie

M. Dragan Duncic

Agence Républicaine pour l’Aménagement du Territoire, Belgrade, Serbie

Prof. Asst. Milena Nikolic

Institut Supérieur d’Études Appliquées, Belgrade, Serbie


Voici la transcription de l’intervention des professeurs serbes Milena Nikolic de l’Institut des études appliquées de Belgrade et de M. Dragan Duncic de l’Office de l’Aménagement du territoire de la République serbe, lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller du 18 et 19 octobre 2014 en Allemagne.

Le professeur Milena Nikolic a d’abord félicité Mme Helga Zepp-LaRouche et son époux, l’économiste américain Lyndon LaRouche, pour les trente ans d’activités de l’Institut Schiller. Elle a également transmis les salutations de son père, le Professeur Milan Bacevic, ancien ministre serbe de l’Aménagement du territoire et des ressources naturelles. [1]

Disposant déjà sur notre site d’un article détaillé sur le projet de canal reliant le Danube à Thessalonique en Grèce sur notre site, nous avons choisi de présenter un extrait du texte soumis à la discussion par Dragan Duncic et le professeur Milena Nikolic, qui rappelle l’histoire et l’importance des canaux dans l’histoire économique en général.


Étant donné que les trois quarts de la surface terrestre sont couverts d’eau et que le corps humain est lui aussi composé à 70 % d’eau, il est évident qu’il s’agit d’un élément fondamental pour la vie humaine. La disponibilité et l’accès à l’eau potable ont souvent déterminé la répartition des populations sur les continents et c’est pour cela que l’Homme s’est sédentarisé dans les embouchures des grands fleuves. Les civilisations antiques connaissaient l’importance de l’eau et ont développé différentes façons de s’en servir afin de créer un environnement propice à leur développement. Une de ces méthodes fut la création de systèmes d’irrigation.

Les plus vieux canaux d’irrigation ont été trouvés en Mésopotamie (aujourd’hui une région chevauchant l’Irak et la Syrie), et ils datent de 4000 ans av. J.C. La civilisation de la vallée de l’Indus en Inde, vers 2600 ans av. J.C., maîtrisait des systèmes d’irrigation performants avec un système de réserves d’eau, alors qu’en Egypte, les canaux datent de la période 2332-2283 av. J.C., lorsqu’on a construit un canal pour contourner les chutes d’eau du Nil près d’Assouan.

En Chine, des canaux pour le transport fluvial furent construits dans la période 481-221 av. J.C., et le plus long de cette période fut le canal de Hong Gou (canal des oies sauvages), reliant six pays. Peu de temps après, le Grand canal, encore aujourd’hui le canal le plus long du monde (1794 km), fut construit pour faire remonter du riz des régions fertiles autour du fleuve Yangzi Jiang dans le sud de la Chine, vers les troupes et la Cour de l’Empereur Yang de la dynastie Sui dans le nord. Il ne s’agissait pas seulement de transporter des céréales, mais aussi d’unifier le pays en intensifiant les liens entre les régions. Cela faisait du canal tout un symbole et une cible pour les envahisseurs. Au début des années 1840, lors de la première guerre de l’opium, les Britanniques ont occupé le confluent du canal et du fleuve Yangzi Jiang afin de bloquer l’approvisionnement en aliments de Beijing et priver la capitale des taxes qu’elle pouvait en tirer.

Au Moyen Age, la voie d’eau était moins onéreuse et plus rapide que la voie terrestre car les routes étaient dans un état lamentable. Le transport fluvial permettait également le transport des pondéreux. Le premier canal de l’Europe chrétienne fut la « Fosse caroline »(Fossa Carolina), construit au VIIIe siècle sous la supervision personnelle deCharlemagne. C’était également le premier « canal de jonction » reliant le bassin du Rhin et du Danube. Cela ne permettait pas seulement des échanges entre la Rhénanie et la Bavière mais permettait également à Charlemagne d’augmenter sa capacité à déployer ses navires de guerre. Au XVIIIe siècle, on a élargi cette ère de développement en construisant le canal Main-Danube (canal Ludwig). Cette voie d’eau fut étroite et tomba rapidement en désuétude lorsque est apparu le chemin de fer. Par la suite, les bassins du Rhin et du Danube furent enfin reliés par le canal Rhin-Main-Danube.

Le développement du commerce et la nécessité de transporter des grandes quantités de vrac et de pondéreux justifient le transport fluvial et ont fait des grands ports des centres majeurs d’échanges. Au XVIIIe siècle, lors de la révolution industrielle, l’Europe a entamé la construction de canaux partout où la géographie le permettait et lorsque les capitaux étaient disponibles.

Dans la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale, la part du transport maritime a atteint 70 % du total du fret international et le tonnage moyen des bateaux a augmenté. En accord avec cette tendance, l’importance stratégique des pays disposant d’une façade maritime est devenue plus grande. Le développement du trafic maritime fut cependant déterminé par la création de passages artificiels (canaux interocéaniques tels que Suez, Panama, Corinthe, etc.) et des passages naturels (Détroits de Malacca, Gibraltar, Bosphore, Dardanelles, Bab-el-Mandeb, Ormuz, etc.) qui permettent de raccourcir les corridors de transport maritime par des milliers et des dizaines de milliers de kilomètres. A part cela, pour les pays qui n’en disposent pas de façon naturelle, disposer d’un accès à la mer est un objectif géostratégique pour bien des pays.

La construction des canaux a joué un rôle majeur pour favoriser le transport fluvial et maritime. Le canal de Suez fut creusé en 1869, et après sa reconstruction en 1980, permet le passage de grand tankers pétroliers en provenance du golfe Persique. Un autre canal majeur pour le transport maritime est le canal de Panama qui relie l’Atlantique au Pacifique et raccourcit immensément les trajets.

Avec la réalisation du canal Rhin-Main-Danube, le Danube est devenu la colonne vertébrale d’une voie fluviale unique qui relie la mer du Nord à la mer Noire, en d’autres termes le port de Rotterdam aux Pays-Bas à celui de Constanta en Roumanie. Ceci a fait naître une nouvelle voie commerciale entre l’Europe du nord, l’Europe centrale et l’Europe de l’ouest, et une connexion directe avec la mer Noire, c’est-à-dire également avec le canal de Suez et donc avec le Moyen et l’Extrême Orient. Avant l’existence de cet axe fluvial, les navires devaient traverser la Méditerranée et contourner la péninsule ibérique, un trajet qui durait huit jours de plus et et qui était donc forcément plus cher.

La Méditerranée a une position centrale unique. A part des endroits géostratégiques majeurs tels que le canal de Suez, le détroit de Gibraltar, le Bosphore et les Dardanelles, elle représente un « pont » entre les pays arabes, le Maghreb et l’Union européenne. L’importance géostratégique de la Turquie fut également renforcée par la construction du grand corridor de transport fluvial Rhin-Main-Danube, puisque la Turquie contrôle le Bosphore, jusqu’ici un point de passage obligé pour les échanges.

La plupart des bateaux en provenance de l’extrême Orient entrent dans la Méditerranée par Suez et mettent le cap sur Gênes, Marseille, Barcelone et Valence. Les ports du nord de l’Adriatique, notamment Koper en Slovénie ou Trieste, Venise et Ravenne en Italie, sont également des sites importants. Cependant, la mer Noire a créé également un lien avec l’Ukraine et la Russie. Du point de vue géostratégique, la mer Noire joue également le rôle d’une frontière naturelle entre l’Europe et l’Asie, et dans un sens, est ce qui les rattache.

Le développement du transport fluvial dépend pour l’essentiel des conditions géographiques. De ce point de vue, ce sont les pays qui disposent de rivières navigables ou qui ont déjà construit des canaux qui disposent parfois du plus grand potentiel. La position géostratégique de la plaine de Pannonie et la connexion entre la Sava et le Danube, avec le bassin de la Morava, lui-même lié au Vardar, et au-delà avec la Mer d’Égée et la Méditerranée, est un ensemble unique de vallées et de plaines en Europe. En les reliant entre elles, une vaste voie navigable pourrait voir le jour. Elle relierait l’Europe du Nord avec l’Europe du Sud et l’Europe centrale, grâce au Corridor paneuropéen N° 7, le Danube, ainsi que l’ensemble de l’axe Rhin-Main-Danube existant.

Il existe deux canaux en Roumanie (le canal de Sulina et celui du Danube à la mer Noire).

A part leur importance économique évidente, la construction de ces canaux a indirectement renforcé la candidature de la Roumanie pour rejoindre l’Union européenne, puisqu’elle représentait un trait d’union entre l’Europe et l’Asie.

De la même façon, l’importance géostratégique de la Serbie pourrait évoluer si nous construisions notre propre connexion fluviale entre le Danube et la Méditerranée. Cette connexion serait plus courte et économiquement plus profitable que tout ce qui existe pour l’instant.

Le bassin de la Morava représente la colonne vertébrale de la structure spatiale de la Serbie centrale. Son potentiel est essentiel pour le développement de la Serbie en termes d’aménagement territorial, qu’il s’agisse de son économie, de sa démographie ou de son agriculture. Le bassin de la Morava, où habitent environ trois millions de personnes, couvre 42 % du territoire de la Serbie et 45 % de ses ressources en eau. L’intérêt de rendre la Morava navigable est devenu évident en 1841. Après que quatre navires postaux se furent rendus à Cuprija, à 140 km au sud de Belgrade, la question fut posée et on proposa de « faire des relevés exacts de la rivière afin de pouvoir envisager sa navigabilité », comme l’écrivait Le Journal serbe. Ensuite, une société « Franco-serbe de navigation » fut créée. Entre 1844 et 1864, elle organisa du transport fluvial sur le Danube, la Sava et la Morava.

La Serbie a tenté de rendre la Morava navigable pour des bateaux plus grands en 1867, lorsqu’on a fait des relevés topographiques plus précis pour mesurer son potentiel. Par la suite, on a construit un petit bateau à vapeur du nom de « Morava » pour des essais spécifiques près de Cuprija. L’expédition commença en 1869 sous la direction de l’ingénieur Anta Aleksic. Ainsi, depuis plus d’un siècle, de nombreux articles, études et analyses ont traité du projet de canal de la Morava, mais faute d’investissement, le projet tarde à voir le jour.


[1] M. Bacevic vient d’être nommé ambassadeur de la République serbe en Chine, un pays qui a montré un très grand intérêt pour le projet de canal de la Morava.

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